Sidi Bou Saïd, village phare de la
Tradition, haut lieu sacré du soufisme et de l’art de vivre, villégiature très
prisée de la Méditerranée pour poètes et peintres du monde entier, sait
enfanter des prodiges créatifs et révéler de nombreux talents comme rarement un
endroit sur terre ne sait le faire. Parmi eux, à l’écart des modes et humeurs
de l’époque, laissant filer les périssables hystéries et distractions du
moment, l’artiste plasticien Hamda Dniden œuvre sans relâche et avec une fidélité
sans faille à illustrer et documenter par ses toiles et sa sensibilité une
Tunisie éternelle, plus particulièrement celle de son village natal : Sidi
Bou Saïd. Dans un parcours personnel tout entier dédié à l’art, à la peinture
et à sa colline, Hamda « construit », selon ses propres mots, une
œuvre singulière, fascinante et déroutante en même temps, qui mènera ses
tableaux au fil des ans de galeries en expos, d’Europe en Chine, de premiers
prix en décorations honorifiques, obtenant ainsi aux yeux des professionnels de
la Culture comme du grand public une juste et méritée reconnaissance.
Hamda Dniden et l’avènement des
formes
Loin de
l’hyperactivité urbaine et moderne, saturations et vaines agitations des
mondanités, c’est patiemment dans son atelier personnel et la douce vie
ensoleillé boussaïdienne qu’Hamda Dniden explore son intériorité et sa mémoire,
et y élabore en faux miroirs ses balades picturales, ses rêveries et douces
folies. De Pablo Picasso à Georges Braque, d’Arcimboldo à Marc Chagall, de Jean
Arp à Fernando Botero, des surréalistes à l’Ecole de Tunis, en fin lettré des
Beaux-Arts, en esthète érudit qui connaît savamment ses classiques, affranchi
de tous clans et dogmes, il puise son inspiration à diverses sources et styles
l’ayant précédé dans l’Histoire de l’Art. Sachant finement s’approprier les
codes des uns et innovations techniques des autres pour mieux développer et
exprimer sa propre veine, son intime univers, le rendre unique, incomparable,
inclassable, par une alchimie inexplicable, palette en mains et chevalet
toujours prêt, il rêve tout haut et transcende sous tous les formats possibles
celle qui se révèle être sa source et muse personnelle véritable : la
colline de Sidi Bou Saïd !
Parmi ses
pièces maîtresses les plus représentatives, les tableaux Banquet, huile sur toile
de 1995, Miroir, technique mixte de 1996, Les deux sœurs, huile
sur toile de 1997, Le regard intime, huile sur toile de 1999, Cité et société, huile sur toile de 2006, Familia, huile sur toile de 2013 et Souvenir, huile sur toile
de 2014, se montrent remarquablement exemplaires quant au traitement spécifique
et à la célèbre « touche Dniden ». Mêlant figuration, tracé libre et
absence de perspective rationnelle, avec des corps parfois schématisés jusqu’à
l’abstraction, avec des agglomérats de personnages et cités compactés jusqu’à
saturation, il a continuellement affiné son langage, sa manière, son coup de
pinceau et de crayon. Par des tonalités chaudes et un délicat nuancier,
possédant ses couleurs et sa lumière bien à lui, par des compositions souvent
verticales, pyramidales, collinaires, et les expressions introverties de ses
sujets, il exprime un monde fantasmé mais non magnifié, onirique et pudique en
même temps, avec très souvent pour sujets principaux ses fameuses femmes aux
formes rondes et disproportionnées, tantôt alanguies et affligées, tantôt méditatives et prostrées, souvent
seules, parfois en famille ou même en ballet, leurs larges bassins riches en
chair accueillante, leurs mamelles gonflée et leurs peaux brossées par les ans dégageant une
rêche et insolite volupté.
Dessins,
aquarelles, huiles sur toile, technique mixte, collages, d’évidence sa
créativité demeure vive et variée tout au long de son parcours pour servir au
mieux ses intentions et ses idées. Aussi, au regard de l’ensemble de ses
portraits, natures mortes, scènes de vie simples ou complexes, se dégage une
profonde unité et identité dans le travail de peintre d’Hamda Dniden, une ligne
directrice forte qui se renouvelle par la technique et s’approfondit à
l’infini, jusqu’à devenir sa marque personnelle reconnue partout, son
originalité, son évidente signature, jusqu’à devenir lui-même.
Variations sur un même thème :
la Terre-Mère
Quand
autour de soi tout devient trouble, confus, chaotique, que le monde entier perd
ses repères et référents, que le genre humain ne sait plus montrer son avenir
sous son meilleur jour, il reste pourtant pour les âmes assoiffées
d’authenticité toujours un refuge, un asile bienveillant, quelque part
quelqu’un de vraiment aimant, un territoire sécure et familier où règne l’amour
inconditionnel, généreux et solidaire, il reste la Terre-Mère. Symbole de
l’éternelle féminin et de ses divins attributs, cette figure archétypale garante
de renaissance, d’immortalité et de fertilité, s’incarne et prend vie chez
Dniden sous deux formes et représentations complémentaires : la première
est celle de la femme gironde, sa fameuse « batbouta » devenue
emblématique de toute son œuvre ; et la seconde est celle de la mythique
colline de Sidi Bou Saïd, le jardin enchanteur par excellence, modèle de maintes inspirations et
pérégrinations. Ces deux sujets récurrents et centraux dans sa démarche de
créateur, nous rappellent l’un et l’autre que nous sommes tous les enfants
d’une mère, tous les fils d’un village, tous les membres d’une famille, d’une
communauté et de sa tendre atmosphère, d’un environnement particulier, d’une
inaliénable unité et de sa plus authentique spiritualité.
Dans le
fonds et dans la forme, l’humain
et ses liens sont au centre des créations d’Hamda Dniden, le cœur même de
chacune de ses compositions, la matrice inépuisable qui toujours de ses
abondances l’alimentera. Par son éternel regard d’enfant, tout en tendresse, en
affection, en attachement, il peint ce territoire-là, cet espace affectif là,
et suggère que nous avons tous une relation tellurique et sentimentale intense
avec notre terre comme avec notre mère, une incomparable appartenance à cette
enfance ancrée au plus profond de nous-mêmes, de nos sensations, et de nos
émotions. Mélancolie assumée dans les yeux du peintre et de ses sujets, vénérables reflets précieux du temps
passé, il propose toile après toile de rendre hommage et
d’immortaliser l’enfance perdue et ses marquants personnages, la nostalgie de
ce monde autrefois simple et heureux, une jeunesse et ses initiatiques étés désormais
évaporé avec le temps, et de célébrer un village atypique pour foyer familial
perpétuel, avec sa vie sociale traditionnelle, ses adorables êtres, ses
habitats pittoresques, sa permanence culturelle et civilisationnelle, sa
mystique universelle.
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