A l’origine le rugby est un sport noble. Il parle
la langue d’Oc et se pratique entre gentilshommes avertis. Charger, tomber, se
relever, se relancer, avancer encore, lever les genoux, courir fort, passer,
chuter de nouveau, se redresser, souffrir sans le montrer, la poésie brut du
rugby raconte la vie héroïque des villages et des campagnes, de l’ancestrale
paysannerie et de son culte pour la bonne vie. Trop souvent le folklore a
toléré les mauvais coups, les excès, les gauloiseries, et noirci sa nature
profonde, sa philosophie. Entre compères noceurs et buveurs avertis, la
troisième mi-temps était immanquablement la préférée des joueurs. Mais souvent ils
savaient la mériter. Des coups de but et virils assauts tant redoutés, cette
meute de guerriers savamment organisée, ils en ont donné, et beaucoup reçus.
Mais uniquement sur le terrain, uniquement « pour jouer ». Au-delà
des fatigues, ivresses et ecchymoses, le rugby est certes un sport de chocs et
de cris, de sueurs, de bocks et d’envolées mal contrôlés aussi, mais surtout un
sport de combat qui requiert des qualités de bravoure et d’abnégation
inconditionnée pour faire gagner son équipe. Sa fameuse mêlée, sans égale dans
les autres disciplines, magistral champs de bataille où se joutent les muscles
et les reins, échiquier où le mental éprouvent ruses et tacticiens, combinaisons
de mots et gestes cryptés, tapes dans le dos et regards discrets, répond à un
ordre social multiséculaire, un compagnonnage initiatique à part entière.
Grands et petits, forts et fluets, élégants et cabossés, chacun trouve sa
place, chacun sait son quartier. Les lignes arrières, adroits coursiers,
développent le talent très subtil de l’esquive et des virevoltantes chevauchés.
Ballon bien protégé sous l’aile, ils excellent dans l’art de l’évitement, de la
passe longue, des flamboyantes foulées et du cadrage-débordement bien inspiré.
En revanche, en première ligne, choc frontal casque contre casque, haleine
contre haleine, piliers et talonneurs enchâssés râle contre râle, les yeux
rouges des uns plongés rageusement dans les yeux rouges des autres, le pack
d’avants, les gros, s’offre pour principale fête le tête à tête permanent.
Placages incessants, tampons percutants, fixer l’adversaire, plusieurs mêmes,
libérer l’espace pour ses partenaires, ceux qui savent droper entre les poteaux
ou porter l’oval derrière la ligne, loin derrière. C’est ça le rugby !
Costaud comme son père, altruiste comme toute sa
lignée de bons vivants dauphinois, Claude était pillier à St Vallier. Enfant de
la Galaure, ce val d’or mystique de la Drôme-Nord, bon camarade, généreux avec
ses proches, il fit le bonheur et prestige du club quand, en redoutable duo
d’avants avec son collègue le grand champion international Elie Cester, ils
atteignirent une finale de championnat fédéral. C’était une belle époque. Hélas,
à la fin de l’été 92, Claude lance pour la dernière fois une de ces fameuses
passes en arrière. Sans savoir cette fois ce que deviendra la balle derrière
lui, ni le score du match, ni le sort de l’équipe. Une sale maladie le met
hors-jeu, le seul placage dont il ne se relèvera pas, il sort définitivement du
terrain beaucoup trop tôt, à tout juste 37 ans.
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